mardi 31 octobre 2017

L'Orient-Le Jour du mardi 31 octobre 2017

Foucher : Quand on parle de la politique arabe de la France, tous les fantasmes sont permis
  


L’ambassadeur de France au Liban, Bruno Foucher, lors d’un déjeuner-débat organisé par le Comité national libanais du Forum francophone des affaires. Photo AA.


CONFÉRENCE
L'ambassadeur de France insiste sur les trois axes dessinés par de Gaulle, précisés par Mitterrand et Chirac, et appliqués par Macron.

Antoine AJOURY | OLJ
31/10/2017

« Quand on parle de la politique arabe de la France, tous les fantasmes sont permis », déclare d'emblée l'ambassadeur de France au Liban, Bruno Foucher, lors d'un déjeuner-débat organisé vendredi dernier par le Comité national libanais du Forum francophone des affaires en partenariat avec le groupe Cavalier. « Il y a ceux qui disent qu'elle n'existe pas, et d'autres qui aiment dire qu'elle n'existe plus. Certains estiment qu'elle a évolué, alors que d'autres lui prédisent la mort régulièrement », précise ainsi le diplomate.

La première question qu'on se pose est : « Comment définir le monde arabe ? » se demande l'ambassadeur. Est-ce les pays de la Ligue arabe ? Est-ce les pays arabophones?

« Au Quai d'Orsay, nous avons une conception assez polymorphe du monde arabe », qui comprend non seulement les pays arabes du Maghreb jusqu'au Golfe, mais aussi la Turquie et l'Iran, « un pays dont la géographie humaine est complètement tournée vers l'Asie centrale », selon M. Foucher, qui précise que, « tout en s'intéressant au golfe Persique, l'Iran n'a jamais essayé de modifier sa géographie humaine en se réinstallant sur ses rives ».

On a par ailleurs coutume de dire, ajoute l'ambassadeur, que la politique arabe de la France est récente, à savoir qu'elle a commencé avec le président Charles de Gaulle. Or Paris s'intéresse au monde arabe depuis très longtemps. En tant que puissance méditerranéenne, les Français ont toujours sillonné le Moyen-Orient, dès le XVIe siècle avec François Ier. Les archives diplomatiques, notamment avec l'Empire ottoman, mais aussi les nombreuses littératures sur le Levant, le prouvent. Mais c'est bien le général de Gaulle qui a mis en œuvre ce qu'on appelle aujourd'hui « la politique arabe de la France », dans des circonstances très particulières. Dans les années 1950, ce dernier a voulu initier une nouvelle politique avec les nouveaux pays fraîchement indépendants.

Cette politique est articulée autour de trois grands axes. Le premier axe consistait à se distancier de la politique américaine dans la région. L'idée est de trouver une 3e voie aux pays qui ne voulaient ni des USA ni de l'URSS à cette époque. « Il y avait donc tout un espace diplomatique entre ces deux blocs dans lequel la France a agi », explique M. Foucher. Le deuxième axe se caractérisait par une politique plus froide envers Israël. L'acte d'entrée a été la guerre de 1967, précise le diplomate français. Avant cette date, la France avait une coopération militaire importante avec l'État hébreu. « C'est le père de (l'ex-Premier ministre) Michel Rocard qui a été l'un des principaux artisans du programme nucléaire israélien. Avec le fameux discours du général de Gaulle en novembre 1967, les choses s'inversent », précise le diplomate, et la France s'intéressera désormais plus à la cause palestinienne. Enfin, le troisième axe de cette politique consiste à jouer le rôle d'intermédiaire obligé dans toutes les crises, avec une diplomatie très active sur tous les plans, politique, culturel et économique. Cet axe a été dessiné lors d'un discours fondateur de la politique française dans le monde arabe, celui de Jacques Chirac en 1996 : « Après avoir détruit un mur à l'Est, il faut désormais construire un pont avec le Sud », avait affirmé l'ancien président. Preuve en est, l'implication active de Paris au Conseil de sécurité de l'ONU dans la gestion des crises relatives à la région.

« Deux idées fausses »
Ces trois axes forment une constante dans la politique arabe de la France. « Même en voulant s'en distancier, cela n'a pas été possible », note M. Foucher, se rappelant le souhait du président François Mitterrand après son élection de faire son premier voyage à l'étranger, après l'Allemagne, en Israël. L'inquiétude immense qui a eu lieu dans les pays arabes l'a fait changer de plan. Son premier voyage a été en Arabie saoudite, et il n'est allé en Israël que l'année suivante, où il a fait son fameux discours devant la Knesset. Autre exemple en 2015, lors des discussions sur le nucléaire iranien, la France avait sa propre vision. « Nous disions aux Iraniens que nous n'avons pas une position anti-iranienne ou pro-israélienne. Nous sommes durs parce que nous estimons que c'est le régime de prolifération nucléaire qui est en jeu. Donc l'accord devrait être vérifiable. Et je crois que nous avions raison aujourd'hui », explique M. Foucher. Actuellement, si on suit les discours du président Emmanuel Macron, on est en plein dans les trois axes, estime-t-il.

La question qui se pose reste toutefois : est-ce que la France a aujourd'hui les moyens de sa politique?

« En matière de culture et d'éducation, les chiffres sont très encourageants », précise M. Foucher. Dans le domaine politique et diplomatique, « notre investissement est substantiel », assure l'ambassadeur. « L'ambassade de France au Japon, c'est 83 personnes. L'ambassade de France au Liban, c'est 150 ! » avoue l'ambassadeur. Sur le plan économique, « on peut toujours faire mieux », admet-il.

Bruno Foucher revient enfin sur « deux idées fausses » : d'abord, celle qui dit que la France est dépendante des grands contrats. Pour le diplomate français, « les contrats, c'est les desserts. C'est simplement les conséquences d'une politique de proximité. Ce n'est pas ce qui guide la politique française ». La seconde idée : le monde arabe, et plus particulièrement le Qatar, achète la France. « C'est complètement faux. Si on regarde les chiffres, la France investit plus dans le monde arabe que ce dernier dans l'Hexagone », assure l'ambassadeur.

Malgré cet exposé historique riche, les auditeurs sont restés sur leur faim. Voulant privilégier l'analyse, certains ont, à juste titre, demandé à l'ambassadeur quelques éclaircissements sur la situation actuelle avec l'émergence de nouvelles menaces et de nouvelles puissances, ou sur des nuances entres le Machrek, le Maghreb et le Golfe impliquant « des politiques arabes de la France ». M. Foucher est resté néanmoins attaché au concept des trois axes, ne voulant visiblement pas sortir des sentiers battus.

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Le CNL-FFA au service des entreprises libanaises
L’intervention de l’ambassadeur de France au Liban, Bruno Foucher, lors d’un déjeuner-débat vendredi dernier, a été organisée par le Comité national libanais du Forum francophone des affaires (CNL-FFA). « Notre action vise à mettre le réseau de la francophonie économique au service des entreprises libanaises », explique la présidente du CNL, Reine Codsi. Des activités régulières sont organisées pour encourager les entrepreneurs libanais, notamment à létranger.

En outre, trois Libanais ont déjà gagné le prix de la francophonie économique : Armand Pharès (2003), Antoine Wakim (2006) et Roger Nasnas (2009). Pour M. Pharès, qui avait reçu son prix de Jacques Chirac à Paris en tant que président du RDCL à lépoque, « la francophonie économique nest pas uniquement une langue commune, mais cest surtout lesprit de cette langue, cest-à-dire les méthodes de management ou la façon de concevoir la responsabilité sociale de lentreprise ».


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