Foucher :
Quand on parle de la politique arabe de la France, tous les fantasmes sont
permis
L’ambassadeur de France au Liban, Bruno Foucher, lors d’un
déjeuner-débat organisé par le Comité national libanais du Forum francophone
des affaires. Photo AA.
CONFÉRENCE
L'ambassadeur de France insiste sur les trois axes
dessinés par de Gaulle, précisés par Mitterrand et Chirac, et appliqués par
Macron.
Antoine AJOURY | OLJ
31/10/2017
« Quand on parle de la politique arabe de la
France, tous les fantasmes sont permis », déclare d'emblée l'ambassadeur
de France au Liban, Bruno Foucher, lors d'un déjeuner-débat organisé vendredi
dernier par le Comité national libanais du Forum francophone des affaires en partenariat avec le groupe Cavalier. « Il y a ceux qui disent
qu'elle n'existe pas, et d'autres qui aiment dire qu'elle n'existe plus.
Certains estiment qu'elle a évolué, alors que d'autres lui prédisent la mort
régulièrement », précise ainsi le diplomate.
La première question qu'on se pose est :
« Comment définir le monde arabe ? » se demande l'ambassadeur. Est-ce
les pays de la Ligue arabe ? Est-ce les pays arabophones?
« Au Quai d'Orsay, nous avons une conception
assez polymorphe du monde arabe », qui comprend non seulement les pays
arabes du Maghreb jusqu'au Golfe, mais aussi la Turquie et l'Iran, « un
pays dont la géographie humaine est complètement tournée vers l'Asie
centrale », selon M. Foucher, qui précise que, « tout en
s'intéressant au golfe Persique, l'Iran n'a jamais essayé de modifier sa
géographie humaine en se réinstallant sur ses rives ».
On a par ailleurs coutume de dire, ajoute
l'ambassadeur, que la politique arabe de la France est récente, à savoir qu'elle
a commencé avec le président Charles de Gaulle. Or Paris s'intéresse au monde
arabe depuis très longtemps. En tant que puissance méditerranéenne, les
Français ont toujours sillonné le Moyen-Orient, dès le XVIe siècle avec
François Ier. Les archives diplomatiques, notamment avec l'Empire ottoman, mais
aussi les nombreuses littératures sur le Levant, le prouvent. Mais c'est bien
le général de Gaulle qui a mis en œuvre ce qu'on appelle aujourd'hui « la
politique arabe de la France », dans des circonstances très particulières.
Dans les années 1950, ce dernier a voulu initier une nouvelle politique avec
les nouveaux pays fraîchement indépendants.
Cette politique est articulée autour de trois
grands axes. Le premier axe consistait à se distancier de la politique
américaine dans la région. L'idée est de trouver une 3e voie aux pays qui ne
voulaient ni des USA ni de l'URSS à cette époque. « Il y avait donc tout
un espace diplomatique entre ces deux blocs dans lequel la France a agi »,
explique M. Foucher. Le deuxième axe se caractérisait par une politique plus
froide envers Israël. L'acte d'entrée a été la guerre de 1967, précise le
diplomate français. Avant cette date, la France avait une coopération militaire
importante avec l'État hébreu. « C'est le père de (l'ex-Premier ministre)
Michel Rocard qui a été l'un des principaux artisans du programme nucléaire
israélien. Avec le fameux discours du général de Gaulle en novembre 1967, les
choses s'inversent », précise le diplomate, et la France s'intéressera
désormais plus à la cause palestinienne. Enfin, le troisième axe de cette
politique consiste à jouer le rôle d'intermédiaire obligé dans toutes les
crises, avec une diplomatie très active sur tous les plans, politique, culturel
et économique. Cet axe a été dessiné lors d'un discours fondateur de la
politique française dans le monde arabe, celui de Jacques Chirac en 1996 :
« Après avoir détruit un mur à l'Est, il faut désormais construire un pont
avec le Sud », avait affirmé l'ancien président. Preuve en est, l'implication
active de Paris au Conseil de sécurité de l'ONU dans la gestion des crises
relatives à la région.
« Deux idées fausses »
Ces trois axes forment une constante dans la
politique arabe de la France. « Même en voulant s'en distancier, cela n'a
pas été possible », note M. Foucher, se rappelant le souhait du président
François Mitterrand après son élection de faire son premier voyage à
l'étranger, après l'Allemagne, en Israël. L'inquiétude immense qui a eu lieu
dans les pays arabes l'a fait changer de plan. Son premier voyage a été en
Arabie saoudite, et il n'est allé en Israël que l'année suivante, où il a fait
son fameux discours devant la Knesset. Autre exemple en 2015, lors des
discussions sur le nucléaire iranien, la France avait sa propre vision.
« Nous disions aux Iraniens que nous n'avons pas une position
anti-iranienne ou pro-israélienne. Nous sommes durs parce que nous estimons que
c'est le régime de prolifération nucléaire qui est en jeu. Donc l'accord
devrait être vérifiable. Et je crois que nous avions raison aujourd'hui »,
explique M. Foucher. Actuellement, si on suit les discours du président
Emmanuel Macron, on est en plein dans les trois axes, estime-t-il.
La question qui se pose reste toutefois :
est-ce que la France a aujourd'hui les moyens de sa politique?
« En matière de culture et d'éducation, les
chiffres sont très encourageants », précise M. Foucher. Dans le domaine
politique et diplomatique, « notre investissement est substantiel »,
assure l'ambassadeur. « L'ambassade de France au Japon, c'est 83
personnes. L'ambassade de France au Liban, c'est 150 ! » avoue
l'ambassadeur. Sur le plan économique, « on peut toujours faire
mieux », admet-il.
Bruno Foucher revient enfin sur « deux idées
fausses » : d'abord, celle qui dit que la France est dépendante des
grands contrats. Pour le diplomate français, « les contrats, c'est les
desserts. C'est simplement les conséquences d'une politique de proximité. Ce
n'est pas ce qui guide la politique française ». La seconde idée : le
monde arabe, et plus particulièrement le Qatar, achète la France. « C'est
complètement faux. Si on regarde les chiffres, la France investit plus dans le
monde arabe que ce dernier dans l'Hexagone », assure l'ambassadeur.
Malgré cet exposé historique riche, les auditeurs
sont restés sur leur faim. Voulant privilégier l'analyse, certains ont, à juste
titre, demandé à l'ambassadeur quelques éclaircissements sur la situation
actuelle avec l'émergence de nouvelles menaces et de nouvelles puissances, ou
sur des nuances entres le Machrek, le Maghreb et le Golfe impliquant « des
politiques arabes de la France ». M. Foucher est resté néanmoins attaché au
concept des trois axes, ne voulant visiblement pas sortir des sentiers battus.
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Le CNL-FFA au service des entreprises libanaises
L’intervention de l’ambassadeur de France au Liban,
Bruno Foucher, lors d’un
déjeuner-débat vendredi dernier, a été organisée par le Comité national libanais du Forum francophone des affaires (CNL-FFA). « Notre action vise à mettre le réseau de la francophonie économique au service des entreprises libanaises », explique
la présidente du CNL, Reine Codsi.
Des activités régulières sont organisées pour encourager les entrepreneurs libanais, notamment
à l’étranger.
En outre, trois Libanais ont déjà gagné le prix de la francophonie économique : Armand Pharès (2003),
Antoine Wakim (2006) et Roger Nasnas (2009). Pour
M. Pharès, qui avait reçu
son
prix de Jacques Chirac à Paris en tant que
président du RDCL à l’époque, « la francophonie économique n’est pas
uniquement une langue commune, mais c’est
surtout l’esprit de cette
langue, c’est-à-dire les méthodes
de management ou la façon de concevoir la responsabilité sociale de l’entreprise ».
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